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Pourquoi j’ose donner des « leçons » aux blogueurs

Extrait du commentaire récent de ALC sur ma note déjà ancienne
« … A vouloir donner des leçons et à croire que l'on possède un avis plus important que celui des autres -de par son statut officiel et professionnel- on se referme sûrement plus facilement sur soi lorsque l'on est confronté à une opinion critique ?.. »


Ma réponse
Le débat s'est calmé, mais le fond du problème reste. Je vais donc essayer de formaliser mon point de vue.
En fait, quand j'y réfléchis, je ne vois pas pourquoi je ne tenterai pas de donner des « leçons » au sens universitaire, ou alors c'est admettre implicitement que l'expérience et le savoir-faire accumulés ne servent à rien.
Donc, oui, je suis partisan de donner des « leçons » aux blogueurs, de leur apprendre à lire et à écrire, à respecter les mots et les gens. Après 25 ans de pratique, je continue à avoir foi dans le journalisme, malgré ses dérives, malgré toutes les erreurs que l'on trouve. J'ai aussi la pratique de 25 ans de « hype » de la part des fournisseurs high tech – ils sont la plus grande puissance de communication au monde - et là aussi si je peux transmettre quelques conseils, je n'hésiterai pas à le faire. La règle est simple : ne croyez pas un mot de ce que vous racontent les fournisseurs, jamais, surtout quand ils parlent de vous. Si on peut faire des critiques sur la pratique du journalisme, alors que dire du discours des fournisseurs ! Quand on voit un soi-disant magazine d’information sur les blogs financé par une agence de communication, quel que soit le talent épistolaire logorrhéique de son patron, on ne peut qu’être inquiet.
En résumé, voici ce que je pense :




- l’usage du blog (et non pas le blog lui-même) est un outil innovant,
il est en train de changer le rapport à l’information, il remet en
question la pratique traditionnelle du journalisme ; les journalistes
doivent l’admettre ;
- la notion même d’information est en train d’évoluer, elle
n’appartient plus à une seule catégorie d’auteurs, elle se forge de
manière participative, itérative ; l’information devient circulaire,
nous sommes tous émetteurs et récepteurs ; là aussi, les journalistes
doivent l’admettre ;
- par contre, si le circuit a changé, les bases d’une information
fiable, vérifiée, elles, ne changent pas : remonter à la source,
recouper les sources, enquêter, confronter ; ce n’est pas un
savoir-faire inné et cela prend du temps ;
- il n’est pas prouvé pour l’instant que le système circulaire et
itératif de la construction d’une information par les blogs soit plus
efficace que le système traditionnel : simplement, il est très rapide
(pour un résultat non mesuré) et il satisfait davantage de gens,
puisque davantage de gens y participent ; c’est cette corde démagogique
que tirent à fond tous les promoteurs du blogs.
- écrire – si on parle ici de cette forme de communication - n’est pas
naturel, c’est une technique, c’est comme apprendre une langue
étrangère ou le solfège ; il faut du temps et de la pratique pour
parvenir à une forme d’écriture efficace, qui ait un impact sur son
destinataire; « Je vous écris une longue lettre, car je n’ai pas le
temps de vous en écrire une courte » écrivait Voltaire à une de ses
correspondantes.
- tous les blogueurs sont égaux dans leur envie et leur légitimité à
communiquer ; ils ne sont pas égaux dans leur contenu publié, ni dans
leur pratique ; il ne faut pas confondre la liberté d’expression et la
qualité de l’information ; l’efficacité-utilité-qualité d’une
information, c’est : « en quoi cette information change-t-elle mon
rapport au monde ? »
- la croissance exponentielle des pages de blog contient sa propre
limite : même si les techniques (RSS et autres) nous aident à faire le
tri, il devient de plus en plus difficile de construire un ratio
temps/efficacité compétitif ; le temps reste une ressource limitée et
rare et l’efficacité  n’est pas prouvée ; on perd énormément de temps à
fouiner dans la blogosphère, sans savoir où on met les pieds, on perd
énormément de temps sur les forums, les newsgroups, sur la lecture des
commentaires successifs et chronologiques…
- il faudrait construire un nouveau système de validation de
« l’autorité cognitive »
, selon l’expression d’un chercheur, des blogs
et des pages web, qui soit autre chose que l’audience ou le nombre de
liens croisés entre sites ou la cooptation de proche en proche (qui est
un bon système mais trop limité); je connais par exemple des tas de
gens qui s’amusent, pour le fun, à créer des générateurs automatiques
de blogs bidons avec des liens croisés ; j’en connais d’autres qui ne
le fond pas pour le fun mais pour le business ou l’escroquerie…Il ne
s’agit pas de créer une « police des blogs », il s’agit d’aider les
internautes, les citoyens à en tirer un meilleur usage et à ne pas se
faire manipuler.
- il n’y a aucun modèle économique généralisé fiable de l’information
gratuite sur le web: ne nous laissons pas abuser par les quelques
exemples qu’on monte en épingle ; un jour ou l’autre, la question de
l’argent se posera et deviendra primordiale ; par ailleurs, le business
modèle du web est un modèle en régression par rapport aux modèles
classiques : la pub, la pub, la pub, rien d’autre.
- les nouvelles expériences, essentiellement américaines, de
journalisme participatif sur le web sont très intéressantes ; elles ont
deux défauts majeurs :
* elles n’ont pas encore trouvé comment remplacer la cooptation
physique, en face en face (telle qu’elle se pratique dans une équipe de
rédaction localisée) par un système virtuel en réseau ; n’importe qui
peut s’inscrire et participer, c’est bien mais comment se connaît-on,
comment se fait-on confiance ? Ce qu’on lit de quelqu’un, même à
répétition, n’est pas un critère suffisant pour déterminer son
intégrité dans son rapport à l’information. Les risques de dérives et
de manipulation sont importants.
* elles n’ont pas trouvé de modèle économique : si on prend des
bénévoles, comment s’assurer de la qualité de leur travail ; si on
prend des professionnels, comment les rémunérer ?
(suite au prochain numéro…)

Commentaires

  1. Pour terminer plus en douceur mon billet précédent, le blog ne serait-il pas l'outil révé du journaliste souhaitant atteindre en toute liberté le lecteur sans passer par le carcan du journal ?
    A lire et à relire Albert Londres (réédité aux Serpent à Plumes) on peut se poser la question. Albert Londres un blogger avant l'heure ?
    A plus
    Alain Fernandez

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