Aujourd’hui, le soleil entre à flots par les grandes baies de son bureau d’Innovatron, sur une petite place de Saint-Germain des Prés. Des piles de journaux, des livres partout (beaucoup de dictionnaires), le plus bel écran du monde (l’incroyable 30 pouces d’Apple) – et au mur, l’ignoble pelade d’Anémone dans le « Père Noël… ». C'est un cadeau de Thierry Lhermitte... Au mur encore, des reproductions pro-format à 100 euros de Van Gogh et de grands maîtres italiens « j’adore ! » et des objets bizarres ici et là (voir son site).
Car nul visiteur ne peut échapper à la visite du « musée » :
Car nul visiteur ne peut échapper à la visite du « musée » :
- voici la « carte à puce » qu’il a présenté le 22 février 1974 à 20 banquiers ébahis : une planche de bois avec des fils partout : «Ils ont été tellement estomaqués qu’ils en ont parlé au Tout Paris et dès le lendemain, je recevais des propositions de capital-risqueurs. »
- voici la maquette de la calculatrice 4 opérations.
« Mais qui rajoute 1 à chaque opération, je ne sais pas pourquoi. » Il me montre et je constate : 3 fois 3 égale 10…
« J’ai du construire un bloc électronique pour soustraire ce 1 mais les gens trouvaient ça moins marrant alors je l’ai enlevé. »
- voici le piano minuscule à 10 touches…
- voici la machine à tirer à pile ou face : on appuie sur un bouton, la diode s’allume, vert, rouge, ça dépend, « mais on peut tricher, on bloque le bouton ici, tu vois » je ne vois rien « et hop, c’est toujours rouge ou toujours vert. »
Il l’a créée en 1968 pour un copain de L’Express, où il était coursier. Le copain en a parlé à ses copains Jean Yanne, Claude Lelouch, Yves Robert… Et Gérard Sire, qui en a fait un film TV de 15 minutes. Du coup le régisseur de Claude Sautet l’appelle : « Je ne savais pas ce qu’était un régisseur ni qui était Claude Sautet… Et il veut me louer, me louer moi, mes objets, mes idées, tu te rends compte ! » Finalement, il n’apparaît pas dans le film , on se demande pourquoi. Mais la scène ou Michel Piccoli entre dans la chambre de son fils dans « Les Choses de la Vie » est entièrement inspirée de l’univers d’alors de Roland Moreno. « Et les dialogues c’est moi. » dit-il fièrement.
Notamment, quand Michel Piccoli demande à son fils en montrant la fameuse machine : « Ca sert à quoi ? – A rien. – A rien ? – A rien ! » Cà, c'est du dialogue!
-voici la machine ("Le Danseur") qui bouge au son de la musique : « Je ne sais pas comment ça marche » tu parles ! Mais ça marche. Les deux petits anneaux montent et descendent le long de leur tige au gré des notes et pas du volume…
Des projets fous mais faits, il en a plein ses cartons et ses ordinateurs : « Les Célimènes » est une suite de grands textes chantés sur une grande musique. La tirade de Célimène (Le Misanthrope, Molière) sur l’air du Clavecin bien tempéré (Bach), « A Paris » de Francis Lemarque sur l’Hymne à la joie (Beethoven), « Le Déserteur » de Boris Vian sur Asturias (Albeniz) « celui-là, on l’a fait le jour de l'invasion de l'Irak par les Américains. »
En fait, les textes sont enregistrés récités, parlés, par son compère Sylvain Robert et ils sont modulés ensuite automatiquement en midi (une extension QBase de Voice Machine).
« Voilà pourquoi Sylvain chante parfaitement juste… » Je me disais aussi que l'homme n’avait pas vraiment l’air d’un chanteur professionnel…
Le jeu « Pignon », vous y jouerez tous
Et donc, son dernier projet, en train de voir le jour : le jeu au nom de code « Pignon » (pour O-Pignon…) breveté « aux Etats-Unis, c’est le seul endroit où on peut breveter un jeu ; en Europe ils ne veulent pas ».
C’est une sorte de quiz, on joue sur internet, on répond à des questions comme celles-ci ou encore : « Le courage est-il plus précieux que le légume ?(oui/non) »
« Ce ne sont pas des questions idiotes, attention ! « Le courage est-il plus précieux que le légume », c’est pas pareil que « le courage est-il plus précieux qu’une grille en fer forgé ! » Vous me suivez ? Et si, à l’instant t, sa réponse correspond à celle qui arrive en tête de toutes les réponses des internautes (c’est ça le sondage d’opinion), on a gagné !
C’est, comme le souligne Florent, une reprise de son jeu « Indécidables » mais avec un modus operandi bien clair et un potentiel de très gros lots : « Sur certaines questions, le calcul de probabilité est du même ordre que celui du PMU ! ».
Les contacts sont déjà pris avec les sponsors : voyages, spectacles, cartes d’achat, le "ticketing" abonnements sur internet ou téléphonie mobile, « tout ce qui ne coûte rien aux sponsors ! ».
L’interface du jeu est purement graphique, on déplace à la souris des mots à l’écran pour les mettre dans l’ordre souhaité. « L’idée m’est venue en 1974 : j’ai créé un jeu de « phrases mignonnes » pour ma fille de trois ans où elle devait reconstituer la phrase à partir des mots ». La première mouture du jeu a été écrite en 1983 pour l'Apple 2, puis par Frédéric Lévy en 1985 (en Pascal) pour le Mac naissant « et il a traversé toutes les générations de Mac sans aucune modification, c’est ça le miracle du Mac. La seule chose qu’on a du faire c’est ralentir volontairement le jeu parce qu’il finissait par aller trop vite avec les nouveaux processeurs et on voyait la phrase-solution s’afficher tout de suite sans avoir le temps de voir le déplacement des mots. » Le jeu va être réécrit en juin « en Java-Script ou en Flash, je ne sais pas encore » pour le monde PC.
Son prochain jeu ? Chut, top secret ! Il est miraculeusement simple et se joue avec Google, évidemment. Je ne peux pas vous en dire plus…
Voilà, je quitte à regrets le bureau gorgé de soleil et de souvenirs et je décèle dans son regard comme un fond de tristesse... Mais pas à cause de moi, bien sûr, je ne suis qu’un passant. Musicien qui ne peut plus jouer depuis son accident de voiture il y a dix ans, divorcé chèrement de son américaine de femme « j’ai du vendre des parts d’Innovatron ! », ancien journaliste qui regrette l’époque du marbre, amateur de mots et d’histoires qui refuse encore de publier sur le web sa newsletter (Déliro pour Daily Roland, Délire, écrire à roland@moreno.net) réservée pour l'instant à 85 destinataires privilégiés, il note ses idées tout le temps – il lui faut en permanence un bout de papier et un crayon à portée de main - parce qu’il se méfie de sa mémoire, il pense avec nostalgie à l’histoire industrielle chaotique de la carte à puce, il s’intéresse à tout, il aime rire et faire rire. L’inventeur est drôle. Et parfois triste? Et drôlement attachant.
PS : on a déjeuné ensemble à son bureau, il a fait monter des plats du restaurant d’en bas (canard pour lui, escalope pour moi, chablis pour tous les deux). Je l’écoute captivé en mangeant sans faire attention. A la fin du repas, il n’a pas touché à son assiette et il sourit : « J'espère que tu as apprécié parce que ce que tu as mangé, c'était mon plat ! » Voilà ce que c’est que d’écouter les gens trop intensément…
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