Je cherchais depuis longtemps ce qui me manquait dans mes web divagations; j'avais le texte, l'image, fixe et animée, la couleur, le son. Ça bouge tout le temps, on s'interpelle, on saute de sujet en sujet avec cet esprit d'escalier qui est le nouveau mode d'accès à la connaissance. Le web, c'est comme le yachting: on part d'un endroit où on est bien pour arriver quelque part où on n'avait pas envie d'aller, après d'improbables circonvolutions induites par le vent capricieux du clic. Bref, j'étais l'excitation même, l'explorateur insatiable. Mais il me restait toujours au fond de l'âme comme un manque, un goût d'inachevé…
Et j'ai trouvé!
Internet n'a pas d'odeur. Rien d'olfactif, nada. Prenez votre journal, votre quotidien, il sent la sueur de l'imprimerie, il sentait même le plomb, du temps des linotypes. Feuilletez un livre, vos narines frémissent. Entrez dans une librairie, il y flotte comme un relent de culture, virevoltant et enivrant. Poussez la porte d'une bibliothèque: ah, le lourd parfum des reliures et du vieux cuir!
Cette excitation des papilles possède une fonction essentielle : elle vous fait entrer dans ce monde des idées, vous en faites partie, vous ajoutez votre fragance à celle des matériaux et des hommes, maillons de la grande chaîne. Avec les humains, c'est pareil; reniflez-les et vous saurez si vous les aimez.
Devant votre écran, même avec chat, forums, ICQ, podcast et tutti quanti, même si vous participez à la grande foire du village mondial, vous restez à l'extérieur, vous consommez ce qu'on vous sert, vous cuisinez votre plat et cela ne sent rien. Et un truc sans odeur ne peut pas être vraiment bon.
Il n'y a pas que ce manque d'effluve qui vous transforme en satellite centripète de la culture. Même le son d'internet est extérieur, fabriqué, surajouté. Il ne vient pas du tréfonds des choses. Où est ce crissement des feuilles de journal, où est ce froufroutement des pages de livres? Bruit intrinsèque, consubstantiel à l'objet manipulé mais que vous créez, que vous révélez. Le son du net, ce n'est pas le bruit de l'âme intérieure, c'est du préfabriqué pour tout le monde. Même la musique, les jeunes appellent ça du "son", c'est tout dire.
Et que dire du toucher? Mes doigts, mécaniques clapets du clavier, ne sont plus des doigts. Ils sont des prothèses de digits, ils m'ouvrent sans délicatesse la porte du grand bazar de la connaissance. Je me souviens des jours heureux où ils savaient caresser, effleurer, parcourir…
Internet n'a pas d'odeur, internet n'a pas de toucher, internet n'a pas de bruit. Internet n'a pas de sens.
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