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Qui précède qui?

Frère du précédent J.-B. Pontalis, Gallimard, 2006.

Frère du précédent. Qui donc J.-B. Pontalis désigne-t-il par cette formule énigmatique et drôle, typique des définitions de nos bons vieux Larousse ? Quel couple fraternel/fratricide se cache derrière ce titre prometteur ? Qui donc était l'autre Pontalis, sinon un aîné, frère du suivant ? J'ignorais que J.-B. Pontalis eût un frère et que lui-même ne fût qu'un puîné. Mais quelle importance ? La question, jadis cruciale, de la hiérarchie de naissance entre frères, a-t-elle, aujourd'hui encore, quelque importance ? Quelque sens ? " Frères de sang " ! Quel intérêt accorder à ce vieux couple, aussi vieux que le monde ? C'est ce vers quoi l'auteur de cet ouvrage s'engage, non sans réticences, non sans méfiance, lorsque se présente à son esprit le projet de ce livre. Dont le titre (jadis suggéré par son frère) s'est pourtant imposé d'emblée. Un projet sur lequel J.-B. P. ne cesse de s'interroger. Pourquoi écrire un tel livre ? Et pour qui ?...
par Angèle Paoli - Terres de femmes
... Ni essai, ni roman, ni récit à proprement parler autobiographique - bien que nombre de questions soient celles posées par le fameux Pacte autobiographique de Philippe Lejeune - Frère du précédent ne se " case " dans aucun genre précis. Alors quoi d'autre ? Pontalis parle de " projet ", d'" enquête ". Pour débusquer quel coupable ? Enquête sur lui-même mais bien davantage sur le couple fraternel/fratricide que le jeune J.-B. P. a longtemps formé avec J.-F. P., son brillant aîné. Ainsi, J.-B. P. le cadet s'inscrit-il, comme tant d'autres, dans cette sombre lignée qui le cheville à cet autre lui-même, son double, son alter ego, son aîné. Et formant avec lui un couple sans cesse oscillant entre déclarations débordantes d'affection ou de fiel !
Trois initiales les unit. L'une d'entre elles, celle du milieu, les distingue, les sépare : J.-F. P./J.-B. P. Un double prénom pour chacun des deux frères, un prénom en écho, pourvu d'un commun dénominateur donné par le prénom Jean. C'est du reste par leurs seules initiales que la mère appelle l'un ou l'autre de ses fils. Dont l'aîné est l'élu. Comme toujours, depuis les origines. Du premier couple de Caïn et d'Abel à celui de Marcel Proust et de son cadet Robert.
Pour tenter de clarifier et de comprendre quels enjeux se cachent sous les " relations ambivalentes " des deux frères, J.-B. P. se tourne vers ceux qui l'ont précédé dans cette voie hasardeuse. En interrogeant les couples: les Frères Goncourt, Théo et Vincent Van Gogh. Et d'autres encore. En scrutant les inséparables: Gustave Flaubert et son ami Louis Bouilhet, dont la ressemblance physique est telle qu'on les prendrait pour des jumeaux. Freud et son ami Wilhelm Fliess. En questionnant certaines œuvres littéraires comme la nouvelle de Maupassant Pierre et Jean. Ou Le Maître de Ballantrae de Stevenson. Pour autant, le psychanalyste s'est bien gardé de céder à la tentation, très vite écartée, de la liste exhaustive. De celles qu'aurait pu dresser un Flaubert, précisément, pour venir à bout de cette énigme et lui tordre le cou. Pourquoi lui et non le cadet ? Qui n'a, en définitive, d'existence propre qu'en raison de celle du précédent! Mais puisque seul l'aîné est l'élu, de quoi donc est-il jaloux lorsque arrive le second ?
J.-B. Pontalis profite de ce foisonnement de questions pour élargir son champ d'investigations en interrogeant le droit d'aînesse, l'usurpation, le rapport des frères à la mère ou de la mère à ses fils, du même à l'autre, la construction des personnalités, souvent antithétique ou faite à contre-pied, les jeux de tension autour des binômes envers/endroit, haine/amour. Le tout avec fantaisie, humour, détachement. Rien de lourd ou d'indigeste qui pèse ou entrave la lecture. Les trouvailles font sourire, le style est à la légèreté. Sur un sujet aussi sérieux, cela tient du tour de force.
Chemin faisant, J.-B. P. revient sur l'énigme de ce frère, promis à la célébrité - et donc aux pages du Larousse - et pourtant ruiné par l'opium, détruit avant l'heure sans laisser la moindre trace écrite, pas même posthume. Qu'a-t-il fait de sa vie, J.-F. P., cet être devenu " végétatif ", et lui, J.-B. P., qu'en est-il de la sienne ?
Parvenu au terme de l'écriture de cet ouvrage, d'autres questions se posent. Le sujet est-il épuisé, le projet a-t-il abouti ? N'a-t-il rien été d'autre qu'une ébauche de " fraternisation " avec J.-F. P., une tentative de réconciliation par delà la mort du frère avec le frère ? Et comment en finir avec ce couple impossible ? Comment clore ce récit ? Comment dire " adieu aux armes " ?
Le livre se referme sur l'invention du couple rêvé, le couple à naître de l'amour. Peut-être J.-B. Pontalis, désengagé désormais de son double, va-t-il pouvoir se lancer dans l'écriture d'un roman d'amour. Une autre façon pour lui de célébrer son " adieu aux armes ".
par Angèle Paoli - Terres de femmes

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