Extrait de Courrier Cadres - Un article de Sylvia Di Pasquale
"A priori, un mémoire de fin d’études en école d’ingénieurs est aussi réjouissant à lire que le listing des abonnés au gaz de Bydgoszcz, jolie cité polonaise. Pourtant, celui que Clémentine Marcovici et Benjamin Frémaux, deux jeunes polytechniciens en troisième année de l’Ecole des Mines, ont défendu le 14 juin dernier devant un parterre choisi de dirigeants d’entreprise et de consultants, est aussi drôle qu’incongru.
C’est à l’épineux sujet des «modes en matière de stratégie d’entreprise» qu’ont voulu s’attaquer les deux auteurs du mémoire. Ils ont bien tenté d’en passer par la manière traditionnelle, en interviewant des managers pour leur demander à quelle théorie ils se sont voués ou se voueront d’ici peu. Mais devant l’océan de banalités que ces derniers ont déversé dans leur magnéto, les étudiants ont changé de stratégie. En inventant eux-mêmes une nouvelle théorie. Pour faire sérieux, le concept se devait d’adopter un nom anglais. Il fut donc baptisé Strategic alignment et ses grandes lignes développées dans une note d’une dizaine de pages. Nos faussaires l’affirment dans cette bible: l’entreprise doit être appréhendée selon trois pôles : l’Etre (la majuscule apporte une touche de solennité), le Dire et le Faire. Ensuite, il suffit de mettre les trois actions en cohérence. Mais attention: il ne faut prendre de décision qu’à l’intersection de chaque pôle qui, dans la note est appelée l’effective target zone.
Evidemment, vu comme ça, on ne donne pas cher du succès de cette théorie. Sauf que les étudiants ont emballé leurs salmigondis d’un papier cadeau doré sur tranches. Selon eux, cette théorie aurait été publiée par deux éminents profs de Harvard qui auraient rassemblées leurs réflexions dans un livre dont la jaquette (avec photo) figure dans le petit dossier concocté par leurs soins. Lorsque tout fut ficelé, la supercherie s’en est allée par la poste vers une centaine de dirigeants, consultants et journalistes. Et c’est là que ce qui n’aurait jamais dû être autre chose qu’une bonne blague de potache prend des allures surréalistes et, au final, en dit long sur l’état de nos entreprises, de ceux qui les dirigent en tout ou partie, ou les influencent.
Car 57% des piégés ont répondu. Et de manière très positive. Certains se sont fendus de notes dithyrambiques. Lors de la soutenance, un consultant a même avoué se servir de cette théorie dans une mission qu’il réalise actuellement pour une multinationale. Seuls deux des récipiendaires du dossier ont eu le réflexe d’aller vérifier sur Internet la véracité du Strategic alignment. Même si l’un d’eux, aidé par la providence, s’est méfié car il avait reçu le courrier piégé le 1er avril.
Ce travail de fin d’études souligne de brillantissime manière la vacuité des théories de management élaborées par des aspirants gourous qui font leur tambouille dans de vieilles soupières pycholo–tacticiennes usées. Un genre connaissant d’ailleurs un succès livresque qui ne se dément pas.
Un jugement que ne partagent pas du tout nos jeunes X-Mines qui, loin de pourfendre le manque de clairvoyance des professionnels sollicités, ont jugé que personne n’avait été dupe. Selon eux, peu importe, à la limite, qu’une théorie soit vérifiée, publiée et mûrement réfléchie par des sommités. Il lui suffit d’être utilisée. Et par là même elle devient utile. Certes, dans cette affaire personne n’est dupe, mais certains le sont beaucoup moins que d’autres. "
Sylvia Di Pasquale - Courrier cadres
--repéré par Christian J--
"A priori, un mémoire de fin d’études en école d’ingénieurs est aussi réjouissant à lire que le listing des abonnés au gaz de Bydgoszcz, jolie cité polonaise. Pourtant, celui que Clémentine Marcovici et Benjamin Frémaux, deux jeunes polytechniciens en troisième année de l’Ecole des Mines, ont défendu le 14 juin dernier devant un parterre choisi de dirigeants d’entreprise et de consultants, est aussi drôle qu’incongru.
C’est à l’épineux sujet des «modes en matière de stratégie d’entreprise» qu’ont voulu s’attaquer les deux auteurs du mémoire. Ils ont bien tenté d’en passer par la manière traditionnelle, en interviewant des managers pour leur demander à quelle théorie ils se sont voués ou se voueront d’ici peu. Mais devant l’océan de banalités que ces derniers ont déversé dans leur magnéto, les étudiants ont changé de stratégie. En inventant eux-mêmes une nouvelle théorie. Pour faire sérieux, le concept se devait d’adopter un nom anglais. Il fut donc baptisé Strategic alignment et ses grandes lignes développées dans une note d’une dizaine de pages. Nos faussaires l’affirment dans cette bible: l’entreprise doit être appréhendée selon trois pôles : l’Etre (la majuscule apporte une touche de solennité), le Dire et le Faire. Ensuite, il suffit de mettre les trois actions en cohérence. Mais attention: il ne faut prendre de décision qu’à l’intersection de chaque pôle qui, dans la note est appelée l’effective target zone.
Evidemment, vu comme ça, on ne donne pas cher du succès de cette théorie. Sauf que les étudiants ont emballé leurs salmigondis d’un papier cadeau doré sur tranches. Selon eux, cette théorie aurait été publiée par deux éminents profs de Harvard qui auraient rassemblées leurs réflexions dans un livre dont la jaquette (avec photo) figure dans le petit dossier concocté par leurs soins. Lorsque tout fut ficelé, la supercherie s’en est allée par la poste vers une centaine de dirigeants, consultants et journalistes. Et c’est là que ce qui n’aurait jamais dû être autre chose qu’une bonne blague de potache prend des allures surréalistes et, au final, en dit long sur l’état de nos entreprises, de ceux qui les dirigent en tout ou partie, ou les influencent.
Car 57% des piégés ont répondu. Et de manière très positive. Certains se sont fendus de notes dithyrambiques. Lors de la soutenance, un consultant a même avoué se servir de cette théorie dans une mission qu’il réalise actuellement pour une multinationale. Seuls deux des récipiendaires du dossier ont eu le réflexe d’aller vérifier sur Internet la véracité du Strategic alignment. Même si l’un d’eux, aidé par la providence, s’est méfié car il avait reçu le courrier piégé le 1er avril.
Ce travail de fin d’études souligne de brillantissime manière la vacuité des théories de management élaborées par des aspirants gourous qui font leur tambouille dans de vieilles soupières pycholo–tacticiennes usées. Un genre connaissant d’ailleurs un succès livresque qui ne se dément pas.
Un jugement que ne partagent pas du tout nos jeunes X-Mines qui, loin de pourfendre le manque de clairvoyance des professionnels sollicités, ont jugé que personne n’avait été dupe. Selon eux, peu importe, à la limite, qu’une théorie soit vérifiée, publiée et mûrement réfléchie par des sommités. Il lui suffit d’être utilisée. Et par là même elle devient utile. Certes, dans cette affaire personne n’est dupe, mais certains le sont beaucoup moins que d’autres. "
Sylvia Di Pasquale - Courrier cadres
--repéré par Christian J--
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