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Dictature du clic et mort des idées

[chronique de Lucien qui vient de paraître dans 01DSI n°26]
Bientôt on recevra chacun dans sa boîte à lettres électronique son journal gratuit mis en page sur mesure par un logiciel, grâce au formulaire qu’on aura complété en cochant des cases et qui le remplira automatiquement en allant puiser dans une banque de contenus mis à jour en permanence, indexés de manière astucieuse. En fait, cela existe déjà ! C’est le nouveau genre de l’info personnalisée, à la demande, c’est monjournal.com.
Et tout le monde est content, les éditeurs de logiciels, les hébergeurs, les fournisseurs et, parait-il, les lecteurs-internautes aussi, parce que rien n’est plus important pour chacun d’entre nous de se croire unique.
Le système se pare de toutes les vertus : c’est du one-to-one automatisé. On ne peut pas rêver mieux. Même dans l’automobile, ils n’avaient pas réussi à faire un truc aussi chouette...

« La rose est sans pourquoi, fleurit parce qu’elle fleurit ;
sans souci d’elle-même,
ni désir d’être vue. »
Angelus Silesius

Les marketeurs vérifient soigneusement les clics pour ajuster le contenu à la demande : tiens, en ce moment, il nous faudrait un peu plus de ceci, cela, un peu plus sur untel, une telle et les fournisseurs de contenus s’exécutent. Ainsi, on est sûr de ne décevoir personne et de coller en permanence à la demande client. On peut vendre tout cela, niche par niche, à ses annonceurs qui, eux aussi, font
passer des messages en fonction du contenu et de l’audience. La boucle est bouclée. C’est du CRM plus plus, aux petits oignons.
Car, c’est bien connu, le client sait toujours ce qu’il veut. Il suffit de le lui demander. C’est sûrement comme cela qu’on a tout inventé, n’est-ce pas ?...
En fait, cette dictature du clic, c’est aussi la fin des idées originales, de l’innovation, de l’offre. C’est le règne du copier-coller, du me too, du consensus mou, du politiquement correct. Plus personne ne dérange personne, ça ronronne. Tout le monde s’emmerde mais c’est gratuit. Le web, ça me rappelle la télé, comme disait Woody Allen ou quelqu’un du même genre : « Je regarde souvent la télé ; parfois même, je l’allume. »
On achète l’info comme du beurre dans les supermarchés du web, on la tartine à la demande avec les paillettes qu’il faut. Les nouveaux rédacteurs en chef vous disent sans vergogne : on ne publie que de l’actu qui fait cliquer. Ca c’est de la stratégie éditoriale : « c’est plié ! » comme on dit maintenant !
L’info banalisée, l’info pour tous, ce n’est plus que du yaourt de cerveau, de la marmelade de neurones. Elle n’a plus de sens, elle n’a que des caractéristiques, des rubriques, un volume, un vocabulaire. Elle ne sert plus à comprendre le monde, elle sert juste à l’habiller de bruits et d’images.
Et le plus extraordinaire c’est que cette bêtise nouvelle dans laquelle on nous précipite, on prétend en même temps en faire l’archétype de la nouvelle communication : comme tout le monde dit tout en même temps à tout le monde, il en sortira forcément quelque chose de mieux qu’avant, n’est-ce pas ?
Ah si internet rendait plus beau et plus intelligent, moi, je vous le dis, depuis le temps, ça se saurait !

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