Dans le ciel, règne Dieu. Sur terre, règnent les Monarques. Entre les deux, dans le Cyberespace, règne Dictateur Gafa, fruit bâtard de grandes familles tour à tour alliées et ennemies. Chacune protège son territoire et convoite celui des autres, comme dans Game of Thrones : Google, à qui on est obligé de poser une question par jour ; Amazon, à qui on est obligé d’acheter un produit par jour ; Facebook, à qui on est obligé d’envoyer un message par jour; et enfin Apple, qui n’oblige à rien mais qui voudrait bien.
Autour de ces quatre grandes familles, existent de nombreux clans plus petits, mais tout aussi sanguinaires et amateurs d'or. Chacun aimerait bien être vizir à la place du vizir. Malgré quelques sursauts de rébellion parfois couronnés de succès, ils sont plutôt en perte de vitesse et cherchent de nouvelles alliances: Microsoft, Yahoo, YouTube, Twitter, eBay, Paypal…
Dictateur Gafa règne sur une population de 3,5 milliards de personnes, qui possèdent chacune un ou plusieurs appareils – on dit « devices » avec l’accent anglais- pour communiquer avec lui en direct. Cette population est dirigée par sa minorité agissante, les Geekorateurs, drogués au Gafa : environ 500 millions de personnes qui ne peuvent s’empêcher, par une addiction incontrôlée, de se connecter sur leurs sites web chaque jour, comme si leur vie en dépendait.
Le pouvoir de Dictateur Gafa, géré comme un conglomérat, s’est établi progressivement au fil des années grâce à une amélioration continue des ordinateurs et des robots selon la loi de Moore (un des membres du Comex). Puis, récemment, il y eut ce coup de génie, quand le conglomérat signa un contrat exclusif avec Dieu pour envoyer tous ses équipements dans les nuages – on dit le « Cloud » avec l’accent anglais. Ainsi on ne voit plus aucune machine nulle part : c‘est le miracle de la Virtualisation que les Eglises ont mis au même rang que celui de l’Annonciation. Il suffit désormais de cliquer sur un écran pour obtenir ce qu’on veut, tout de suite et gratuitement. Le Gafaland est un monde merveilleux, encore plus jouissif que celui de Dysney, encore plus réel que celui de Dieu. Lequel Dieu commence d’ailleurs à se demander s’il ne s'est pas fait piéger. Il ne connaissait sans doute pas le proverbe Gafa : « Dans une bonne affaire, il y a toujours un pigeon ; si vous ne savez pas qui c’est, c’est vous. »
Le Gafayen, citoyen de Gafa, a le droit de s’exprimer à condition de ne pas être pédophile, ni coupeur de tête, ni amateur de sexes féminins poilus en gros plans. De toute façon il est tracé en permanence, il le sait et il est content car il est mieux servi. Grace à son système d’écoute perfectionné, Gafa sait tout sur chacun de ses citoyens et il les bichonne: il devine leur désir et il est capable de leur livrer à la maison un produit qu’ils n’ont pas encore commandé. Témoignage: "Quand je le déballe, je suis stupéfait : ça alors, c’est exactement ce que je voulais". Alors ils rient. Les malheureux ! Ils ne savent pas que leur produit est obsolète dès qu’ils l’ont déballé. Car c’est ainsi que marche le commerce de Gafa : dès que vous avez reçu un produit, il faut le remplacer. Gafa sait avant vous si vous allez vous marier, avoir un enfant, mourir. Toute votre vie est désormais tracée à l'avance sur les écrans de contrôle de Dictateur Gafa. Pour vous, c'est rassurant et confortable. Le monde est Gafa-zen.
Le Gafayen qui s’exprime sur le web peut d'ailleurs être marchand d’armes ou grand pollueur et dans ce cas, il a le droit d'acheter de la publicité à bas prix qui vient se répandre par-dessus les textes des pages, en clignotant à un rythme stroboscopique.
Votre vie dans le Cyberespace dépend du bon vouloir de Dictateur Gafa: vous pouvez garder vos appareils, bien sûr mais tout un coup, un jour, ils ne servent plus à rien, aucun site Gafa n'est plus accessible. Et vous ne saurez jamais pourquoi. Vous pouvez alors les transformer en pots de fleurs ou de chambre. La Censure est un pouvoir absolu de Gafa. Peut-être vous ont-ils pris pour un spammeur, un basher ou un hacker mais de toute façon vous ne trouverez personne auprès de qui pleurer. Gafa est lui aussi un monde virtuel peuplé de robots qui appliquent les lois de Gafa.
A la différence de Dieu, qui est invisible et du Monarque, hautain, Dictateur Gafa est aimable et souriant. On le voit souvent dans les médias nous vanter le futur. C’est normal car les médias lui appartiennent : je parle des médias modernes et influents, pas de la télé, ni de la radio ni des journaux papiers, anciens supports poussiéreux et arthritiques, réservés aux retraités, qui ne faisaient que du push, les idiots. Ils sont rachetés au fur et mesure par des Geekorateurs qui les font mourir à petit feu dans la vie réelle pour se réincarner splendidement sur le web avec dix fois moins de salariés.
C’est normal aussi que Gafa nous parle du futur parce que c’est plus facile que de parler du présent: demain, ça ira encore mieux, je vous jure, croyez-moi nous dit-il et nous applaudissons.
Comme il est très riche, Dictateur Gafa se montre très généreux avec les pauvres et il finance aussi des fondations, des musées, des aides au développement. L’art fait partie de ses nouveaux domaines réservés même si le Dinosaure Pinaultus Richissimus croit encore que c'est sa chasse gardée. Gafa aime les pauvres car un jour ils seront riches et il lui reste donc encore 3,5 milliards de personnes à convaincre.
Le gros avantage de Dictateur Gafa par rapport à Dieu et à Monarque est qu’il règne sans partage sur l’information. Dieu a bien essayé pendant une longue période mais il a fini par perdre la partie parce qu'il ne faisait pas assez de miracles personnalisés. Et d’ailleurs Gafa a pigé le truc : il ne dit plus « information » mais « contenu ». On ne dit plus « Journaliste », mot obsolète mais « Content Manager ». Le cyberespace est un ensemble de contenus gérés par Gafa, avec de la publicité gérée par Gafa. Et tout le monde est content.
Il y a bien quelques villages réfractaires qui règnent sur de petits territoires autonomes. Par exemple Wikipedia, qui a l’air de défendre une drôle d'information, dite collaborative, rassemble 50 millions d’individus. Mais ces Wikipédiens, descendants des Gaulois, passent leur temps à réécrire l’histoire chacun à sa façon et ils ne sont jamais d’accord entre eux. Par exemple, j’ai voulu leur donner un article objectif sur Luc Fayard et ils l’ont refusé. L’autre problème est que Wikipedia est en fait un agent double, encyclopédiste secret de Dictateur Gafa.
Certaines des familles de Gafa prônent l’amitié mais en fait ce ne sont pas des amis, ce sont des inconnus malades du clic. Donc il faut s’en méfier. D’autres, comme Twitter, prônent une mentalité de moutons. Ils appellent cela des Followers : comme le mot est anglais, pour les Français, ça fait snob, ça passe. Si je disais que j’ai 1 000 suiveurs, ça ferait bizarre, je passerais mon temps à me retourner pour voir qui est derrière moi.
Apple, lui, passe son temps à essayer de vendre très cher des trucs qui ne servent à rien comme par exemple une montre qui donne tellement d’heures qu’on ne sait plus quelle est la bonne. A chaque fois qu'Apple lance un produit inutile, les bookmakers parient sur lui et comme Apple y arrive, ils gagnent plein d’argent.
Dans le monde de Dictateur Gafa, les gens sont égaux et intelligents, ils n’ont pas besoin de savoir bien écrire. Ils ne savent pas parler non plus, ils éructent quelques borborygmes qui sont retranscrits par le clavier et tout le monde fait semblant de comprendre.
Récemment, la Loi Numéro 1 « Plus on est de Fous, plus on s’amuse » et la Loi Numéro 2 , dite de Wolinski « C’est pas parce qu’on a rien à dire qu’il faut fermer sa gueule » ont été réécrites dans le codicille « La Sagesse de la Foule » sous la forme : « Plus de gens s’expriment sur un sujet, plus on approche de la vérité ». Lorsque la nouvelle vérité devient vraiment vraie, alors retentit le grand gong des Geekorateurs et la voici inscrite dans les Tables de La Loi de Wikipedia. A partir de là, personne n’a plus le droit de la contester, sinon on est immédiatement jugé selon la Loi de Godwin (voir Wikipedia).
Quelques philosophes et sociologues essaient bien de nous dire que les machines Gafa n’ont pas le sens de l’humour mais personne ne les croit parce qu’on rit bien sur les sites de Gafa. Ils nous disent que le vrai amour est une qualité humaine mais personne ne les croit puisque les couples se rencontrent avec Gafa. Ils nous disent que seul l’homme écrit des poèmes. Alors là le Gafayen s’esclaffe: des pots quoi ? MDR...
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