J’aime les tableaux de portraits de femme.
Dans la vie, jamais une femme ne te regarde ainsi, pendant des heures, droit dans les yeux. Ou alors c’est une statue de la Vierge Marie. Devant ce genre de tableau, tu en prends plein la gueule pour pas un rond et, finalement, tu ne soutiens pas le regard, c’est toujours toi qui pars, fuyant exaspéré ou peureux.
Dans la vie, jamais une femme ne te regarde ainsi, pendant des heures, droit dans les yeux. Ou alors c’est une statue de la Vierge Marie. Devant ce genre de tableau, tu en prends plein la gueule pour pas un rond et, finalement, tu ne soutiens pas le regard, c’est toujours toi qui pars, fuyant exaspéré ou peureux.
Que veut-elle me dire la « Berthe Morisot au bouquet de violettes, » d’Édouard Manet ? Je ne lui ai rien fait, moi, elle ne me connait même pas, je passais par là par hasard, feuilletant des images d’art à l’écran quand, tout à coup, j’ai senti ce drôle de regard qui me fixait d’un air tranquille et insistant, interrogatif et moqueur. En fait, on dirait qu’elle louche, la Berthe ! Cette jeune femme en noir avec une coiffe à la va-comme-j’te-pousse m’a scotché et je n’ai su quoi lui répondre. J’aurais pu au moins lui déclamer en quelques vers mon envoûtement par l’image de femme rebelle, libérée, intrigante qu’elle donnait. Eh bien non, je suis resté coi comme un pantin.
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Quant à la « Femme avec collier » de Modigliani, n’en parlons pas ! Pourtant, j’ai toujours aimé les femmes qui avaient la tête penchée. Celle-là, rousse inconnue de l’histoire, tu crois qu’elle te regarde mais, en fait, pas du tout : ses yeux passent à côté de toi, ils t’ignorent, ils vont loin derrière toi, au-delà, pire, ils te traversent. Là, carrément, tu n’existes pas. La femme est plongée dans ses pensées où tu ne prends aucune part. Peut-être, un jour, le voile s’étant levé de ses yeux, elle te considérera avec étonnement, se demandant ce que tu fais là, animal de cirque. Mais laisse tomber, ce jour-là, tu seras depuis longtemps un squelette blanchi par l’avalanche des questions sans réponses.
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Une qui ressemble à la Berthe et qui me laisse pantois également, c’est « L’Inconnue » de Ivan Kramskoï. Mais là, l’affaire est entendue, la belle te regarde de loin, du haut de sa calèche à velours matelassé. En noir, elle aussi, mais soignée, pas désordre comme la Berthe. Je me demande si son regard n’est pas teinté du léger mépris de l’aristocrate toisant le peuple. Tout est flou derrière elle, on ne voit que son visage rond et ses yeux plissés qui sortent du tableau. J’aime ce portrait de femme, car, contrairement aux autres, comme on ne distingue pas bien son regard sous ses paupières, je peux la fixer impunément pendant des heures, sans être accusé de harcèlement, et j’en profite pour imaginer l’histoire de sa vie que je suppose légère, évidemment.
Encore une femme en noir décidément, d’une incroyable sensualité derrière son apparence de noblionne, la ci-devant « Comtesse Audouin de Dampierre, née Marie-Josèphe Fouache d’Halloy », s’il vous plait, immortalisée par Ernest Hébert. Jeune et discrètement languide, elle offre l’incroyable mollesse de cette main se terminant par des doigts qui n’en finissent pas, main dont on peut voir la peau car elle en a enlevé le gant d’un geste qu’on imagine éminemment délicat et elle sourit peut-être de ce début de nudité involontaire, parce que la peau de sa main est aussi celle de sa gorge discrète, de son long cou au-dessous de son visage à l’exquise forme allongée. Le rêve n’en finit pas.
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Une autre femme, de feu celle-là, qui ne te regarde pas et, elle, comme on la connait de réputation, on sait qu’elle s’en fout : la « Reina del Fuego » (reine du feu), le portrait, par Leonor Fini, de Maria Felix, l’actrice iconique mexicaine des années 40. Les deux femmes se sont rencontrées, peut-être aimées ; l’assurance de Maria est terrifiante, elle a joué la femme fatale dans 47 films. Devant elle, l’homme se sent tout petit, il n’a qu’à bien se tenir.
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Toutes les époques m’interpellent dans le portrait de femme. Comme l’étaient les fans de l’époque, souvent sous substances illicites, je suis accro à « Joni III » de Keitha McClokin qui peint, en techniques mixtes sur panneau, la chanteuse (et artiste) Joni Mitchell, idole pop des années cannabis. Les longs cheveux plats et la frange des années 70, un visage dur, fermé, où se cache la tristesse. Joni a joué de la guitare avec une main gauche atteinte de polio, c’est vous dire ! Et récemment, rescapée d’un anévrisme, avec un AVC soigné par thérapie musicale. Elle rêve peut-être à une vie meilleure, malgré les tubes qui l’ont propulsé sur le devant de la scène dans les folles années de sa jeunesse. Le tableau est récent, aujourd’hui la chanteuse a dépassé les 80 ans (née en novembre 2023). Je me demande l’effet que lui fait ce tableau de se revoir maintenant dans ce visage jeune un peu triste d’hier.
PS: Et, tout à coup, je me réveille en pleine nuit et je les regarde à nouveau cex six femmes: en fait, c'est la même!
PS: Et, tout à coup, je me réveille en pleine nuit et je les regarde à nouveau cex six femmes: en fait, c'est la même!
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